Mercredi 31 mai 2023, jour du lancement du dialogue national, un document est vite devenu viral. Il s’agit des 12 propositions faites par le parti Mpes/ Jef ak Njarin, dont une est relative à la « possibilité d’un report de 2 ans » de l’élection présidentielle déjà fixée au 25 février 2024. Ce point soulevé par ce parti proche du pouvoir, a ravivé la vive polémique déjà notée autour de cette question. En effet, des voix se sont élevées du côté de l’opposition pour « alerter » et exprimer leur opposition à cette intention prêtée à tort ou à raison au patron de l’Alliance pour la République (Apr).
Ainsi, à travers un post sur sa page Facebook, l’ancienne Première ministre Aminata Touré, a fait savoir que « l’élection présidentielle devra impérativement se tenir à date échue en février 2024 avec la participation de TOUS les candidats. Seul le Président Macky Sall n’y participera pas selon les dispositions très claires de la Constitution. Aucun report de l’élection présidentielle ne peut être envisagé ».
Avant elle, le président du mouvement Gueum Sa Bopp, Bougane Guèye Dany, avait alerté sur ce qu’il avait appelé un « deal ». Selon le journaliste et homme politique, « le chef de l’État a initié ce dialogue pour négocier une prolongation de son mandat de deux ans ». C’est pourquoi, lui, Bougane, a refusé de prendre part à ce dialogue.
Embouchant la même trompette, le président du mouvement Agir, Thierno Bocoum, a affiché aussi un « non » catégorique. « Pas de troisième mandat encore moins un 2 mandats et demi », réagissait l’ancien parlementaire.
Dans le camp du pouvoir, le président du groupe parlementaire « Benno Bokk Yaakaar (Bby) n’est pas contre un report des échéances. « Pour moi, l’élection est une fête de la démocratie. C’est bien de respecter l’agenda républicain pour tenir les élections à date échue. C’est ça le principe. Toutefois, je ne suis pas contre le fait de pouvoir reporter une élection, si ça doit permettre de davantage consolider la paix sociale, de raffermir notre démocratie, d’aller à des élections de manière paisible, dans des conditions de sérénité, pour nous permettre de réussir cette fête de la démocratie », a déclaré Me El hadj Oumar Youm, dans un entretien avec Sud quotidien. Il estime que « si les mêmes conditions doivent se présenter au moment des élections, la sagesse recommande de les repousser ».
Quoi qu’il en soit, des acteurs n’ont pas manqué de saisir l’occasion du lancement solennel des travaux du dialogue national pour interpeller le président de la République sur la question d’une supposée troisième candidature. Dans sa réponse, Macky Sall avait fait savoir que la question pouvait bel et bien être inscrite sur les points à discuter au cours de ces assises avant d’ajouter qu’aucun sujet n’est tabou. Une réponse perçue par beaucoup d’observateurs comme une volonté d’aller dans le sens d’un renoncement. Le fait de concéder que « vous pouvez me demander ce mandat mais dans la courtoisie » serait un moyen pour lui de s’aménager une porte de sortie sur cette question.
«La modification de la durée des mandats politiques est devenue impossible »
Mais comment ? Est-il réellement possible de prolonger le mandat présidentiel de deux ans ? “Non”, répond, Moussa Tine. Dans une tribune, le président et fondateur du parti de centre gauche, l’Alliance Démocratique PÉNCÓO, estime que le report des élections n’est pas envisageable. Selon M. Tine, toute tentative visant à se maintenir au pouvoir, serait un facteur de tension grave. « Rien dans le paysage politique et les aspirations à une citoyenneté émancipée ne justifient raisonnablement une telle prolongation de mandat. Il est plutôt de notre devoir, avec plus de dignité, de sauver le pays et de redorer rapidement l’image de la nation sénégalaise », a-t-il notamment expliqué. Poursuivant, M. Tine indique que « la modification de la durée des mandats politiques est devenue impossible au Sénégal depuis la décision historique du Conseil constitutionnel du 12 février 2016. Les juges constitutionnels ont clairement établi l’interdiction absolue et totale de modifier la durée des mandats politiques, quel que soit l’objectif recherché ». Il rappelle, en effet, qu’après avoir promis de réduire son mandat de 7 à 5 ans à la suite des élections de 2012, le Président Macky Sall a réussi à obtenir une décision formelle des « sept sages » sur son engagement. Cette décision a eu des effets juridiques contraignants.
En clair, le juge constitutionnel a souligné que ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si la durée des mandats politiques en cours pouvait être réduite ou prolongée, que ce soit lors des changements de majorité, des jeux politiques ou des circonstances particulières. Cette position est claire et sans équivoque. Une thèse confirmée à Seneweb par un juriste, spécialiste du droit constitutionnel. Selon lui, « le Conseil [constitutionnel] a déjà tout verrouillé et il n’y a pas de possibilités pour l’actuel président de prolonger son mandat ». Toutefois, notre interlocuteur souligne qu’aucun fait ne peut être motif de report sauf s’il affecte le bon déroulement du scrutin ou la stabilité des institutions de la République. « Le report d’une élection présidentielle est bien encadré par la loi sénégalaise », a-t-il ajouté.
Notre interlocuteur cite, par exemple l’article 29 de la Constitution du Sénégal qui stipule qu’«en cas de décès d’un candidat, le dépôt de nouvelles candidatures est possible à tout moment et jusqu’à la veille du scrutin. Dans ce cas, les élections sont reportées à une nouvelle date par le Conseil constitutionnel ».