Les Etats-Unis ont toujours été chantés comme étant la plus grande démocratie au monde. Réalité au storytelling ? C’est en tout cas le produit que Hollywood et tous les grands médias ont toujours vendu à la planète toute entière. En Afrique également, le Sénégal passait pour la vitrine démocratique du continent. Curieusement, ces deux pays qui se voulaient jusqu’ici des modèles vivent la même situation ou presque sur le plan politique, avec notamment deux personnalités qui se présentent comme des anti-systèmes.
Aux Etats-Unis comme au Sénégal, il y a un principal opposant qui accuse le pouvoir, à tort ou à raison, d’utiliser la justice pour éliminer un candidat à la prochaine élection présidentielle. Au pays de la Téranga, Ousmane Sonko, le leader du Pastef a maille à partir avec la justice.
Condamné en appel à 6 mois avec sursis pour diffamation dans l’affaire l’opposant à Mame Mbaye Niang, Ousmane Sonko est aussi condamné à deux ans ferme pour ‘’corruption de la jeunesse’’ suite à une accusation de viol et menace de mort de la part de la masseuse Adji Sarr. Des décisions considérées par Sonko et ses partisans comme l’exécution d’une ‘’commande politique’’ de Macky Sall pour éliminer un adversaire de taille. Et il reste encore, dit-on, le dossier l’opposant à un policier. Pourquoi pas avec Ahmed Khalifa Niass aussi ?
Paradoxalement, au même moment, une scène similaire se déroule au pays de l’oncle Sam. A l’image de Sonko, Trump aussi voit la justice à ses trousses. L’ancien chef d’Etat est visé par 37 chefs d’inculpation pour avoir gardé chez lui, dans une salle de bain, des documents jugés sensibles pour la sécurité des Etats-Unis. Trump est aussi poursuivi, non pas pour viol sur une masseuse, mais pour avoir acheté le silence d’une actrice de film X après une relation sexuelle, afin de sauver sa campagne de 2016. Il devrait aussi être inculpé pour avoir tenté de renverser les résultats de la présidentielle en 2016.
Si au Sénégal, une condamnation à 6 mois, même avec sursis, suffit à éliminer un candidat, aux États-Unis, un postulant peut se présenter depuis la prison, comme l’a déjà fait en 1920, Eugene Victor Debs, sous la bannière du Parti socialiste d’Amérique avec un million de voix récoltées. Trump ne devrait donc pas avoir du souci à se faire (sur le plan légal) pour être candidat, sauf dans le dossier de l’invasion du Capitole qui reste pour l’instant une perspective assez lointaine.
L’autre point commun est que ces deux personnalités gardent leur aura, malgré les déboires judiciaires. Plus les inculpations, d’une part et les condamnations d’autre part se multiplient, plus ils bénéficient de soutiens de la part de l’opinion, y compris parmi ceux qui sont censés être leurs adversaires. Mais ce qui est plus déterminant ici, c’est la volonté de leurs partisans. Une détermination farouche qui donne lieu à des scènes jusqu’ici inimaginables.
Si les partisans de Trump ont eu leur journée du 6 janvier 2021 (invasion du Capitole), les partisans de Sonko aussi ont leur mars 2021, puis maintenant juin 2023, en dépit du discours musclé du pouvoir. Ces évènements sont tels dans les deux pays que l’Etat se prépare maintenant au pire lors de la publication des décisions de justice.
Aux Etats-Unis, le 13 juin suscitait des interrogations quant aux comportements des hommes du milliardaire. « Les partisans de Trump vont-ils semer le chaos à Miami ? », se demandait Le Courrier International. “La multiplication de messages violents sur les forums en ligne, couplée avec les déclarations de défiance de Trump et de ses alliés politiques à la suite de l’annonce de son inculpation, a en effet mis en alerte les forces de l’ordre”, soulignait The Washington Post, cité par le Courrier. Depuis l’invasion du Capitole, ils font peur.
Au Sénégal, à chaque fois que Sonko doit répondre au tribunal, les forces de défense et de sécurité sont en alerte, la ville quadrillée, le domicile de l’opposant bunkerisé. Le blocus qui lui est imposé actuellement n’est que l’aboutissement d’une série de tensions issues des affaires judiciaires. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs si Sonko n’est pas en prison, alors qu’il est condamné à deux ans de prison ferme.
Cela tient aussi au fait que les deux anti-systèmes font feu de tout bois. Ils entretiennent ainsi une base auprès de laquelle le discours incendiaire passe à 100%. Trump a déjà accusé la CIA de l’ère Obama sur l’enquête destinée à élucider ses relations avec la Russie. En 2022, il a soupçonné le FBI d’avoir ‘’placé’’ des preuves dans son domicile, lors d’une perquisition. Il multiplie aussi les sorties contre les médias fake news, ‘’ennemis du peuple’’.
De son côté, Ousmane Sonko s’en est pris à la magistrature, aux forces de défense et de sécurité, au Conseil constitutionnel. Les médias sont régulièrement ciblés dans son discours. Il n’épargne pas non plus des institutions comme la Cedeao, ou encore des puissances étrangères à l’image de la France. Une tonalité et des thématiques bien appréciées par une jeunesse prête à se battre pour sa cause.
Ainsi, aux Etats-Unis comme au Sénégal, on a beau affirmer que « la loi est la même pour tous » (procureur New York) ou qu’”une décision de Justice a vocation à être appliquée” (Ministre de la Justice), il n’en demeure pas moins qu’on s’inquiète beaucoup sur les conséquences avant de poser un acte. Et dans l’un comme dans l’autre cas, c’est la vitrine démocratique, supposée ou réelle, qui se craquelle de jour en jour. Peu importe que l’opposant soit ici un milliardaire et là un inspecteur des impôts sans fortune.