Seneweb lance une série sur les différents acteurs de l’élection présidentielle. Pour ce premier épisode, coup de projecteur sur les têtes d’affiche.
Le ciel est maintenant dégagé. Les gros nuages (3e mandat, dossier Sonko, participation de Khalifa Sall et Karim Wade) qui pesaient sur la présidentielle de février 2024 se sont -tous ou presque- dissipés, mettant ainsi en perspective un scrutin ouvert où tout est possible, même les scénarios les plus inattendus. Dans la flopée de vieux sprinteurs politiques en quête du graal, de jeunes outsiders assoiffés de victoires, de dissidents de Benno et autres candidats fantoches sur la ligne de départ de la présidentielle du 24 février 2024, cinq cadors sortent du lot : Khalifa Sall, Karim Wade, Amadou Ba, Mimi Touré et Idrissa Seck. Des géants politiques certes, mais qui ont encore des choses à prouver sur le plan électoral.
Joignant l’acte à la parole, après deux mois de cogitations confuses autour du porte-étendard de la majorité présidentielle, le président Macky Sall vient enfin de livrer, le samedi 9 septembre, la pièce manquante du puzzle électorale de 2024 : le candidat de Benno bokk yakaar (Bby), Amadou Ba. Le jeu, les enjeux et les acteurs sont maintenant connus. Le ‘’dauphin’’ de Macky Sall rejoint ainsi le quatuor de tête composé des deux ‘’K’’ (Khalifa Sall et Karim Wade) réhabilités dans leurs droits civiques, de l’ex-Premier ministre Aminata Touré et du Rewmiste en chef Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière présidentielle de 2019.
En l’absence des deux figures de premier plan de l’échiquier politique sénégalais que sont Macky Sall (il a renoncé au 3e mandat) et Ousmane Sonko (incarcéré et son parti dissous, sa candidature est incertaine), c’est ce quinté qui mènera certainement les débats aux prochaines joutes. De l’avis de plusieurs observateurs de la scène politique sénégalaise, ces personnalités, du fait de leur pédigrée ou de leurs trajectoires, pourraient bien tirer profit de cette nouvelle configuration politique. Seulement, traînant chacun de gros handicaps, Khalifa, Karim, Idy, Amadou et Mimi restent des géants aux pieds d’argiles.
Mimi et Amadou, les débâcles électorales et le passif du régime
Ils ont presque tout en commun. Ils ont joué des rôles de premier plan au sein de la mouvance présidentielle en ayant gravi quasiment tous les échelons du gouvernement et du Parti (ministre, premier ministre, direction de campagne aux différentes élections). Autres similitudes, ils ont tous deux été bannis du parti et du gouvernement dans la foulée du remaniement ministériel de novembre 2020 scellant ‘’l’entrisme’’ de Idrissa Seck, avant de revenir en grâce. Sur le plan électoral également Aminata Touré et Amadou Ba partagent la même mention : insuffisant ! L’une a essuyé une cuisante défaite aux locales de 2014 avant d’être élue députée sans gloire (sur la liste nationale). L’autre a été deux fois engloutie par la vague Yewwi aux dernières élections locales et aux législatives. Sur la ligne de départ de février 2024, ils espèrent écrire enfin de nouvelles pages, cette fois glorieuses, dans les annales politiques de l’histoire.
Porté par la coalition Benno Bokk Yakaar avec le président Macky Sall comme directeur de campagne, Amadou Ba et son mentor misent sur une victoire dès le premier tour. Une prouesse qui s’annonce plus facile à dire qu’à réaliser si l’on sait qu’aux dernières élections les scores de la mouvance présidentielle ont littéralement décliné. Pour preuve : au coude-à-coude avec l’opposition aux dernières élections législatives avec Mimi comme tête de liste nationale, Benno a dû courtiser le leader de Bokk guis-guis Pape Diop pour retrouver une majorité inconfortable à l’assemblée nationale. En plus de devoir colmater un appareil électoral qui s’est visiblement érodé, le candidat de Benno devra inlassablement s’employer à jouer la carte de la diplomatie avec les dissidents de l’Apr (Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao et Abdoulaye Daouda Diallo) pour espérer circonscrire l’implosion et maximiser ses chances de victoire.
De son côté, et tout comme Amadou Ba, le nouveau membre de l’opposition, Aminata Touré traîne comme un boulet le lourd passif du régime de Macky Sall (scandales financiers ; répression sanglante ; liquidation politique d’adversaires ; scandales politico-judiciaires, Crei…). Une image difficile à gommer pour l’ancienne trotskiste attendue à s’expliquer sur sa part du bilan de Macky Sall.
Idy et les contrecoups de l’entrisme
Pour le prince du Kayor, Idrissa Seck, qui s’est mis depuis des mois dans la peau du 5e président, la partie ne sera pas, non plus, facile. Même en l’absence de Macky et de Sonko. Arrivé 2e à la présidentielle de 2019 (20% des suffrages) avec une coalition XXL composée de la quasi-totalité des candidats recalés au parrainage, Idy a vu son poids électoral s’effriter fortement. Ceci, au point que, Thiès, sa chasse gardée longtemps contrôlée par ses lieutenants, lui file entre les doigts, tombant dans l’escarcelle de Yewwi Askan wi aussi bien aux locales qu’aux législatives.
Encore plus symptomatique du rejet des thiessois envers Idy, l’ancien édile adulé de la ville a été copieusement hué le jour du scrutin local. Une dégringolade qui est la conséquence directe de son entrisme dans le gouvernement de Macky Sall. Sa démission suivie de la rupture de son compagnonnage politique avec la mouvance présidentielle, ne sont pas de nature à redorer son blason puisque sa dernière opération « Gnibissi », lancée pour inviter les responsables et militants qui ont claqué la porte à revenir au Rewmi, a été un fiasco. Son fameux entrisme, au final, vaut son pesant de cacahuètes.
La Crei et la caisse d’avance, de gros taches noires sur les deux ‘’K’’
Réhabilités dans leurs droits civiques à l’issue de la plénière du 5 août 2023 à l’assemblée nationale, Khalifa Sall et Karim Wade sont certes de nouveau dans la course mais devront travailler à déconstruire l’image que les Sénégalais se sont fait d’eux, à tort ou à raison : celle de détourneurs de deniers publics. Ceci en raison de leur condamnation définitive pour enrichissement illicite (Karim Wade par la Crei) et escroquerie sur les deniers publics (Khalifa Sall, dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance). De plus, écartés de la dernière présidentielle de 2019, les deux ‘’K’’ auront des difficultés à remobiliser les troupes.
Avec le Pds, Wade-fils dispose d’un appareil politique. Cependant, comme dit l’expert en communication Momar Thiam : « On a beau avoir un appareil politique très performant, très huilé, une logistique inébranlable pour aller à la campagne présidentielle, mais ce n’est pas l’appareil qui va tisser une relation de confiance entre le candidat et les électeurs ». Pour souligner en termes clairs que sans un agenda précis sur le retour du candidat Karim Wade, qui gère le parti via WhatsApp, toute action de l’état-major du Pds n’est que coup d’épée dans l’eau.
S’agissant de Khalifa, mis à l’écart dans Yewwi, ses chances de grappiller dans l’électorat du parti dissous Pastef sont nulles. Seule la petite lueur des retrouvailles socialistes pouvait lui servir d’éclaircie dans la grisaille. Mais, longtemps agité par des « verts » rebelles, ces retrouvailles de la famille socialiste ne tiendront, sans doute, jamais.