Favoriser tout ce qui contribue à permettre aux malades d’exister avec et parmi nous est à mettre au rang des priorités de la refondation de notre humanisme social, estime Emmanuel Hirsch, professeur émérite d’éthique médicale, dans une tribune au « Monde ».
La maladie d’Alzheimer est l’expression d’une souffrance existentielle et d’une forme de déchéance sociale. Elle affecte l’intégrité et l’identité de la personne, l’image de soi, les capacités de discernement et d’autodétermination, la vie relationnelle. Au point d’évoquer le « deuil blanc » des proches qui accompagnent l’inexorable déclin de celui dont la présence au monde s’efface avant sa mort.
Même si depuis quelques mois des stratégies thérapeutiques permettent d’envisager des avancées médicales, l’annonce de la maladie est vécue comme une sentence difficilement supportable puisqu’elle signifie que la personne subira l’épreuve d’une dépossession de ce qu’elle est.
Vivant un étrange exil aux confins de sa pensée, qu’en sera-t-il d’une réalité dont elle semblera, au stade évolué de la maladie, apparemment absente ? Pour ses proches eux-mêmes relégués d’une mémoire altérée, comment maintenir une présence dont ils ont l’espoir de son ultime signification ?
Stigmatisation, maltraitance
Un lien d’autant plus essentiel subsiste dès lors qu’il est compris comme une relation vraie, aussi incertaine, complexe et redoutable soit-elle. Au-delà d’une reconnaissance de l’autre invulnérable aux justifications d’un renoncement, il s’agit d’une position morale qui prend une signification démocratique évidente dans un contexte de fragilisation des sollicitudes et des liens sociaux, insulte parfois à l’idée de fraternité.