Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, le président de la République du Sénégal, Macky Sall a singulièrement marqué l’année 2023. En bien comme en mal ! Il a été omniprésent dans toute l’actualité socio-politique de ces 365 derniers jours. Le leader de la coalition au pouvoir Benno Bokk Yakaar (BBY), est en train de boucler ses douze années à la tête de la magistrature suprême du pays sur une note très mitigée.
Si à l’international l’ex-président de l’Union Africaine (5 février 2022- 18 février 2023) et porteur de la voix du continent s’est montré sous des atours reluisants d’un démocrate épris de justice, ses agissements en interne notamment sa propension à gérer la chose politique d’une main de fer à peine couverte d’un gant de velours, jure le contraire.
Autant ses actions et réalisations dans certains secteurs sont loués (TER, BRT, Stade Abdoulaye Wade, Dakar Arena, ponts, autoponts, autoroutes, universités, allocation spéciale pour les militaires invalides à la retraite, entre autres). Autant son bilan ‘’immatériel’’ marqué par des scandales à foison (Petrotim, Force Covid-19, rapports accablants des corps de contrôle) et un abus pernicieux à mater ses opposants (Karim Wade, Khalifa Sall, Ousmane Sonko) par le biais de la justice, ont fait jaser durant toute l’année.
Renoncement au 3e mandat, une décision historique
A pile, s’il y a une seule chose sur laquelle Macky Sall a réussi à faire unanimité – ou presque- cette année, c’est sur sa décision de renoncer à briguer un troisième mandat. Et ceci, précise-t-il à tue-tête, « même si la constitution » lui en donne le droit. En effet, après des années de flou et de clair-obscur, il s’est finalement gardé de goûter au fruit interdit (le 3e mandat) même si l’envie semblait le faire saliver. Une décision historique prise, un mois après les émeutes sanglantes, plus de 20 morts au total, qui ont suivi la condamnation de Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme dans l’affaire Adji Sarr, pour décrisper une situation politico-sociale extrêmement tendue.
Le lundi 3 juillet 2023, Macky regagne, le temps d’un message à la nation très attendu, la sympathie de la majorité des Sénégalais. « Mes cher(e)s compatriotes, ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024. Et cela, même si la constitution m’en donne le droit. En effet, depuis la révision constitutionnelle de 2016, le débat juridique a été définitivement tranché par la décision du Conseil Constitutionnel n°1-C-2016 du 12 février 2016 », confie-t-il, tirant les sénégalais d’une profonde torpeur.
Au-delà de ces derniers qui craignaient que l’ancien premier ministre de Wade (avril 2004- juin 2007) marche sur les pas de son ex-mentor, ses partisans aussi -qui l’ont investi candidat le 7 janvier 2023 au Grand Théâtre- ont reçu une douche froide. « Je sais que cette décision surprendra tous ceux et celles nombreux dont je connais l’admiration, la confiance et la fidélité sincères. Elle surprendra aussi ceux et celles qui souhaitent me voir encore guider la construction du pays qui trouve de plus en plus ses marques. Mais le Sénégal dépasse ma personne et il est rempli de leaders également capables de pousser le pays vers l’émergence », leur lance-t-il. Ses rivaux les plus radicaux lui tirent leur chapeau.
Rayonnement à l’international
Du Caire au Cap et bien au-delà, le monde entier a applaudi. Les chancelleries occidentales qui s’étaient ouvertement exprimées contre les velléités de briguer un troisième mandat dans une sous-région déjà éprouvée par les crises politiques, saluent la décision. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres est le premier à ouvrir le bal en exprimant, dans une note, « sa profonde estime » pour Macky Sall.
« La déclaration claire du président Sall est un exemple pour la région, contrairement à ceux qui cherchent à éroder le respect des principes démocratiques, y compris la limitation des mandats », a commenté le secrétaire d’État américain, Antony Blinken.
Même son de cloche à l’Élysée où Emmanuel Macron qui s’était échiné, lors d’un tête-à-tête quelques mois auparavant, à le dissuader de briguer un mandat de trop, évoquait la possibilité d’une reconversion au G20 ou à l’ONU si Macky Sall renonce. « Le Sénégal démontre à nouveau la solidité de sa longue tradition démocratique », jubile le président Français.
La côte de popularité de Macky Sall qui avait fortement dégringolé depuis l’éclatement en mars 2021 de l’affaire Ousmane Sonko, reprend sensiblement la courbe ascendante après cette décision de haute portée. L’élève du Pape du Sopi est cité en exemple dans le monde entier pour avoir décidé d’organiser des élections auxquelles il ne participera pas en 2024. S’ensuivent à l’international des distinctions : prix de la ligue islamique mondiale, prix d’excellence du Président de la Caf 2023, bâtisseur africain de la décennie, futur envoyé spécial de la France au 4P, entre autres.
Démocrate à l’étranger, intransigeant au Sénégal
A face, d’aucuns estiment que le ‘’jeune’’ président sortant -il a soufflé sa 62e bougie le 11 décembre dernier-, qui venait de polir son image le 3 juillet 2023, s’emploie inlassablement à noircir ce tableau. Surtout par sa manière du reste ‘’anti-démocratique’’, selon certains, avec laquelle il gère ce qu’il est convenu d’appeler le dossier Ousmane Sonko (opposant en chef). Comme il l’avait dit, il a pesé de tout son poids sur cette affaire politico-judiciaire.
Ainsi, derrière l’assignation à résidence pendant 55 jours de l’opposant jugé ‘’illégale’’, sa condamnation par contumace au délit ‘’obsolète’’ (selon des praticiens du droit) de corruption de la jeunesse, sa radiation des listes électorales, la dissolution de son parti Pastef, l’emprisonnement de centaines de ses militants, le refus de la direction générale des élections (DGE) de lui donner ses fiches de parrainages en dépit de décisions de justice qui lui sont favorables…, beaucoup y voit la main « ferme » de Macky Sall. La dissolution totale de la Cena (contraire aux textes), par le président de la République, pour avoir enjoint la DGE de délivrer à l’opposant ses fiches, semble leur donner raison.
Autre point noir qui a suscité un très grand tollé au Sénégal et au pays de Marianne en 2023, c’est la visite polémique au Sénégal et le tête-à-tête (le 18 janvier 2023) entre le président Macky Sall et la présidente du Rassemblement National (RN), Marine Le Pen. Un « don » présumé de 7,9 milliards de francs CFA a pollué cette entrevue au soubassement politique. « Avez-vous récemment donné de l’argent à une personnalité politique française ? Dans l’affirmative, est-ce un montant de 12 millions d’euros (environ 7,9 milliards de francs CFA) ? », avait d’ailleurs demandé, dans une lettre ouverte adressée au Chef de l’État, l’ancien premier ministre (2007-2009) et ancien président de la Commission de l’UEMOA, Hadjibou Soumaré. Ce qui lui avait valu des jours de garde-à-vue et un contrôle judiciaire.
Frustrations, regrets, claques à ses alliés
A quelques mois de la fin de son bail au Palais de la République, le président Sall montre une certaine frilosité, dans ses dernières sorties médiatiques, qui cache mal ses appréhensions de l’après-pouvoir. Ses sautes d’humeur, des piques de colère (contre Pierre Goudiaby Atepa et les cadres casamançais), ainsi que les sévères critiques contre ses propres alliés lors de la clôture de sa tournée économique à Fatick à la mi-novembre 2023, trahissent, selon plusieurs observateurs, un profond mal-être.
Bien qu’il ait choisi, contre vents et marées, son Premier ministre Amadou Ba comme candidat de Benno Bokk Yakaar (en septembre 2023), Macky Sall continue encore de s’imposer comme le seul maître à bord.