Plus de deux décennies après les premiers décès aux Etats-Unis, une publication analyse le contexte et les évolutions récentes de ce fléau qui touche toutes les catégories de la population. Entretien avec l’épidémiologiste Chelsea Shover, de l’université de Californie à Los Angeles, coautrice de cette étude.
Les Etats-Unis s’enfoncent dans la crise des opioïdes. Avec environ 120 000 morts par overdose prévues pour 2023, la vague promet d’atteindre un niveau inédit. Une « quatrième vague », en vérité, souligne l’épidémiologiste Chelsea Shover, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Dans un article publié jeudi 14 septembre, avec son collègue Joseph Friedman, dans la revue Addiction, elle en analyse les particularités.
Comment caractériser cette quatrième vague ?
Pardon pour cette évidence, mais elle vient après trois autres vagues. La première s’est développée à la fin des années 1990, alimentée par la surprescription et le mésusage d’opioïdes légaux pour traiter des douleurs. A partir de 2010, on a vu une augmentation importante des décès par surdose d’héroïne chez des personnes jusqu’ici dépendantes aux médicaments opiacés. Quelques années plus tard, vers 2013, le fentanyl a commencé à prendre le contrôle de l’offre de drogues illicites, avec, dans une grande partie des Etats-Unis, une nouvelle augmentation du nombre de décès. Enfin, en 2015, nous avons commencé à observer que de plus en plus de décès survenaient dans un contexte d’association de cet opioïde de synthèse et d’autres substances, essentiellement des drogues dites stimulantes, cocaïne et métamphétamine. Celle que nous avons appelée la quatrième vague est sans précédent : en 2015, on constatait environ cinquante mille overdoses mortelles. En 2022, les chiffres dépassent les cent dix mille morts, et sans doute cent vingt mille en 2023.
Pourriez-vous nous rappeler comment cette crise a commencé ?
Par une augmentation massive de la prescription d’opioïdes pour soulager la douleur. Cette pratique a commencé à se répandre dans les années 1990 et au début des années 2000, pour atteindre son apogée dans la décennie 2010. Il y a eu une prise de conscience, les autorités sanitaires ont fait en sorte de limiter les prescriptions. Mais c’était trop tard. La population dépendante était trop importante. Les forces du marché de l’héroïne l’ont compris et la consommation s’est déplacée.