La hausse du prix du super de 775 à 890 F Cfa est justifiée par le gouvernement par la conjoncture internationale. Pourtant il y a 8 ans, l’argumentaire était tout autre face à la baisse du prix du baril sur le marché.
En matière de prix du carburant, le gouvernement du Sénégal a des arguments circonstanciels. A vrai dire, il s’agit d’un double langage en fonction du contexte. Samedi 4 juin, après l’annonce surprise de la hausse du prix du super de 775 à 890 F Cfa, le ministère du Pétrole et des Énergies a sorti un communiqué pour s’expliquer.
« Face à la persistance des chocs exogènes qui ont occasionné la hausse des cours des produits pétroliers sur le plan international, le Gouvernement du Sénégal a décidé de procéder à un réajustement tarifaire du prix à la pompe du Supercarburant » lit-on dans le communiqué.
Ces chocs exogènes ne sont rien d’autres que la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui a démarré il y a 3 mois. Ainsi, le gouvernement du Sénégal n’aura pas tenu un trimestre avant de filer la patate à la population déjà durement éprouvée. Seulement, avant cette guerre, le baril de pétrole était au plus bas durant presque deux ans (jusqu’à moins 40 dollars parfois) du fait des restrictions issues des mesures contre la pandémie de Covid-19. Pendant cette période de grâce, il n’a jamais été question de baisse des prix du carburant.
Aujourd’hui, le gouvernement s’appuie sur la hausse du prix du baril à l’international pour augmenter le prix du super. Pourtant, c’est ce même régime de Macky Sall qui rechignait à baisser les prix de l’électricité et du carburant, après une forte chute des cours mondiaux en 2014.
A l’époque, le prix du baril tournait autour de 60 dollars contre 120 dollars quand Abdoulaye Wade quittait le pouvoir. A titre indicatif, le baril est passé de 107 dollars en mi-juin 2014 à 59 dollars le 20 décembre 2014. L’ensemble des acteurs réclamaient la baisse des prix. Les syndicats de transport étaient à la pointe de la revendication, mais les associations de consommateurs aussi étaient dans le combat, de même que les usagers de l’électricité.
Les arguments de Mangara, Mme Seck et Makhtar Cissé
Finalement, c’est après plus de 6 mois de tergiversation que le gouvernement s’est résolu à appliquer une baisse sur les prix sans aucune corrélation avec la réalité du marché. Le super passe de 795 F CFA à 775, soit une réduction de 94 F CFA, le gasoil passe à 690 F CFA soit une diminution de 102 F CFA. Et la bonbonne de gaz butane connaît une réduction de 420 F Cfa.
Et pour retarder cette baisse, le gouvernement n’avait pas manqué d’arguments. Ministre du Budget à l’époque, Birima Mangara invitait les Sénégalais à « faire attention entre le prix du baril du pétrole brut et celui du pétrole raffiné ». Autrement, il ne faut pas s’attendre à avoir le même impact entre une baisse sur le prix du pétrole brut et sur celui du produit raffiné.
Autre argument de Mangara, c’est qu’il fallait prendre en compte les développements futurs sur le baril. Le gouvernement devait donc « s’assurer que la baisse du prix du baril est structurelle et non conjoncturelle, afin d’éviter de défaire son socle de mobilisation de ressources internes et fausser les projections de plusieurs gestions successives ».
De son côté Maïmouna Ndoye Seck alors ministre de l’Energie déclarait devant les députés qu’il n’existe pas de corrélation exacte entre le prix appliqué aux consommateurs et celui du baril. Elle soutenait même que ce sont les populations qui avaient demandé une stabilisation des prix pour en tirer la conclusion suivante : ‘’C’est un système qui est là avec ses avantages et ses inconvénients. Nous allons évaluer le système d’ici la fin de l’année. Nous allons au besoin voir si toutes les baisses seront répertoriées ».
Lorsque Mamadou Makhtar Cissé à pris la place de Mme Seck, les mêmes arguments ont été servis. La baisse de 10% sur l’électricité a été jugée largement insuffisante au vu des prix sur le marché. Mais Makhtar Cissé soutenait que l’argent récolté devait servir à électrifier une partie du pays en lieu et place d’une répercussion sur le consommateur.
« Cette augmentation est un ballon de sonde… »
Aujourd’hui, l’argumentaire a totalement changé, parce que le prix est en défaveur du gouvernement. Fini la différence entre le brut et le raffiné défendue par Mangara, fini la stabilisation des prix chère à Maïmouna Ndoye Seck. Le gouvernement a fait fi de tous ces arguments et visiblement Aïssatou Sophie Gladima n’a pas hésité un instant pour avancer la raison : la hausse des prix à l’international.
En outre, il y a fort à craindre d’autres hausses. Depuis quelque temps, le régime de Macky Sall répète à l’envi les efforts fournis pour maintenir les prix des denrées et du carburant. Dans un contexte électoral chargé, le gouvernement a envoyé devant la presse non pas le ministre de l’Intérieur, mais celui des Finances pour imposer les subventions comme sujet d’actualité. Et c’est comme ça que ça avait commencé avant la hausse surprise du litre du super.
D’ailleurs, Sos consommateur de Me Massokhna Kane ne s’y trompe pas. « Cette augmentation est un ballon de sonde qui, s’il est accepté par les Sénégalais, entraînerait l’augmentation du prix des autres pétroliers et par ricochet, une flambée générale des prix », déclare le consumériste dans un communiqué dénonçant l’illégalité de la mesure. Surtout que le Fmi ne cesse de talonner le Sénégal sur cette question.
Les chiffres édifiants de Babacar Tall, Elton
Prenant aux mots le directeur de cabinet du ministre du Pétrole (sur la Rts), Me Massokhna Kane reste persuadé que ce ne sont pas les prix à l’international qui justifie la hausse du super, mais bien une volonté de l’Etat de « lever de nouvelles taxes pour financer ses investissements (Ter, Brt, électrification rurale…).
En vérité, malgré l’insistance sur les subventions, l’Etat a presque toujours répercuté les hausses des prix sur les consommateurs. Et les chiffres sont fournis par un acteur du secteur et pas des moindre, Babacar Tall, le DG de Elton qui a travaillé d’abord chez les majors avant de se lancer avec des locaux.
‘’En février 1999, le baril de pétrole ne coûtait que 10 dollars ; en janvier 2004, il se négociait à moins de 40 $ Us ; le 03 janvier 2008, il atteignait la barre psychologique des 100 $ Us et le 4 avril 2013, il était à 107 $ Us. Cette hausse s’est répercutée dans toutes les économies du monde et principalement dans celles des pays non producteurs de pétrole. En janvier 2004, les prix du gasoil et du super étaient respectivement de 330 F CFA et 468 F CFA (au Sénégal) contre 792 F CFA et 889 F CFA en avril 2013. En neuf ans, les prix à la pompe du carburant ont augmenté de 140% pour le gasoil et 90% pour le super’’, dixit le président de l’Association sénégalaise des professionnels du pétrole (ASPP) dans une interview accordée en août 2013 au magazine ‘’Réussir’’.