En annonçant cette nouvelle sanction, Joe Biden a mis les Européens sous pression. Les 27 restent bien plus dépendants de Moscou sur le plan énergétique.
La nouvelle, dont la rumeur a fait bondir les marchés, a fait l’effet d’une bombe. Lors d’une prise de parole, ce mardi, le président américain Joe Biden a annoncé un embargo touchant les importations de pétrole et de gaz russes. Un moyen de faire peser une pression maximale sur le Kremlin, alors que Vladimir Poutine a fait état de sa volonté de poursuivre son intervention militaire en Ukraine. La décision américaine n’a, pour l’heure, pas été suivie par les États membres de l’Union européenne, bien plus dépendants des produits énergétiques russes. Seul le Royaume-Uni a indiqué, en fin d’après-midi, vouloir arrêter d’ici la fin de l’année d’importer du pétrole brut et des produits pétroliers russes.
La mesure a été présentée par Joe Biden comme un «coup puissant porté à la machine de guerre de [Vladimir] Poutine», soutenu par les deux ailes du Congrès américain. Le président américain a ajouté «comprendre» que ses alliés européens puissent éprouver des difficultés à suivre son exemple, ajoutant que sa décision avait été prise «en concertation avec nos alliés».
L’annonce de Joe Biden intervient alors que la Russie poursuit son offensive à travers l’Ukraine. Face aux violences, de nombreux responsables politiques ont appelé les Occidentaux à faire monter la pression d’un cran, dans l’espoir de faire plier le Kremlin. En complément des quatre ensembles de sanctions déjà annoncés, ces acteurs appellent à porter un coup fatal au portefeuille russe, en bannissant les importations de gaz et de pétrole émanant de ce pays. Un moyen de faire fondre les exportations russes, et de fragiliser considérablement les finances de Moscou.
Une dépendance relativement limitée côté américain
Les États-Unis sont bien moins dépendants du pétrole russe que l’Union européenne : exportateur net de pétrole depuis 2020, le pays importait, en 2021, «en moyenne 209.000 barils par jour (bpj) de pétrole brut et 500.000 bpj d’autres produits pétroliers de Russie», selon l’Association des producteurs de carburant et de produits pétrochimiques (AFPM). Ces importations sont principalement réalisées pour des raisons logistiques, ajoute l’organisation. Dans l’ensemble, la Russie ne représentait que 7% des importations totales de pétrole – y compris du brut – des États-Unis, en 2020, et 3% des importations de brut, en 2021, selon l’AFPM. Une quantité négligeable par rapport au Canada, au Mexique, à l’Arabie saoudite ainsi qu’à la Colombie.
À titre de comparaison, l’Union européenne importait, la même année, 23% de son pétrole et de ses produits pétroliers de Russie, en moyenne, selon Eurostat. Une proportion qui montait jusqu’à 78% pour la Slovaquie, 67% pour la Pologne, et 30% pour l’Allemagne. S’appuyant plutôt sur d’autres nations africaines ou sur l’Arabie saoudite, la France est en retrait, avec 13% de ses importations de pétrole brut et de produits pétroliers venant de Russie. Biberonnées au pétrole russe, certaines nations européennes sont particulièrement réticentes à l’instauration d’un embargo qui aurait des conséquences bien plus lourdes qu’aux États-Unis.
Quant au gaz naturel, les États-Unis n’en importent pas de Russie. Washington dépendant quasiment exclusivement du Canada, puisque 98% de ses importations proviennent de son voisin. Encore une différence là aussi avec l’Union européenne, dont Moscou est le premier fournisseur (45% des importations totales). Sur le charbon enfin, la Russie constitue le quatrième fournisseur des États-Unis : 5% des importations américaines viennent de Russie, loin derrière la Colombie (72%), l’Indonésie (12%) puis le Canada (9%). Pour l’Union européenne, cette part monte à 45%.
Un effet immédiat sur les prix
Côté américain, cette décision intervient alors que les prix à la pompe atteignent des records, légèrement au-dessus de quatre dollars le gallon d’essence, soit 3,78 litres. Comme le reste du monde, le pays est frappé par l’augmentation des cours du pétrole, qui gonfle la facture finale payée par les consommateurs. Même constat en Europe, où les prix des carburants ne cessent d’augmenter à mesure que la matière première s’envole sur les marchés. Les prix du gaz ont également atteint des sommets.
Les conséquences économiques d’un embargo, même uniquement soutenu par les États-Unis à cette heure, sont importantes : sur les marchés, la simple rumeur, mardi après-midi, a propulsé le cours du baril de Brent au-delà de la barre des 130 dollars. Le président américain l’a d’ailleurs reconnu : l’embargo et les tensions grandissantes «auront un coût», y compris pour les ménages américains. «Défendre la liberté aura un coût […]. Nous devons le faire […]. Le temps est venu de prendre notre part» dans ce combat, s’est-il justifié. Et de mettre en garde le secteur pétrolier contre toute velléité de profiter de cette période pour augmenter leurs prix de manière démesurée.
Politiquement, la manœuvre de Joe Biden met également les Européens sous pression, alors que l’unité derrière la question d’un embargo reste difficile à assurer. Dans l’immédiat, la Commission européenne a proposé, mardi, une «ébauche de plan» visant à rendre les 27 «indépendants des combustibles fossiles russes bien avant 2030», et à s’assurer un approvisionnement en gaz pour l’hiver 2022-2023. «Nous ne voulons tout simplement pas dépendre d’un fournisseur qui nous menace ouvertement», assure la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Reste à voir si la décision américaine sera suivie par ses partenaires, et comment la Russie comme les marchés réagiront.