Depuis que le Mali a décidé de commercer avec la Russie sur le plan sécuritaire, la France ne cesse de s’agiter. Voici les intérêts qui justifient cette agitation qui embarque même l’Union européenne.
La France est dans une agitation permanente depuis que le Mali a fait appel à la Russie pour sécuriser son territoire. Pas plus tard que ce jeudi 27 janvier, le ministère français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, en réaction au départ des forces danoises demandé par les autorités maliennes, a déclaré : « cette junte est illégitime et prend des mesures irresponsables.» Il ajoute qu’il va falloir ‘’en tirer les conséquences’’.
En réalité, depuis que Paris a décidé de réduire l’effectif de son armée au Mali poussant Assimi Goïta à regarder du côté de Moscou, Macron et son équipe ne cessent de mettre la pression sur Bamako avec tous les moyens pour que la coopération militaire russo-malienne ne prenne pas forme. De quoi se demander qu’est-ce qui fait courir la France autant.
Pour répondre à cette question, inutile de préciser que l’Afrique fait l’objet de convoitises du fait de ses potentialités en ressources humaines (population jeune), naturelles et stratégiques, en rapport aux enjeux géopolitiques. En plus, le contexte actuel est marqué par une sorte de guerre froide entre le bloc occidental et les puissances asiatiques ou euro-asiatiques : la Chine, la Russie et la Turquie.
Comme l’illustrent les cas du Mali et de l’Ukraine, chaque camp essaie de préserver ses acquis et de grignoter sur l’autre. « Du point de vue de la France, nous sommes des ex-colonies, il y a un pré carré menacé qu’il faut préserver à défaut d’extension. Le Mali illustre bien cette situation », souligne le Pr Malick Sané, économiste.
S’agissant strictement du Mali, l’enseignant à l’Ucad rappelle qu’il est un territoire extrêmement vaste. Or, la terre fait défaut. Elle peut donc être un atout pour l’industrie agroalimentaire de la France et au-delà des pays occidentaux. « Même s’il ne pleut pas beaucoup, il y a des technologies qui permettent d’exploiter les terres », précise-t-il.
Il s’y ajoute que ces terres sont déjà riches en ressources naturelles, notamment l’or, principale exportation du Mali. Il pourrait y avoir également d’autres ressources pas encore connues du fait de l’instabilité et de l’occupation d’une bonne partie du territoire par des groupes armés. « Les pays limitrophes disposent de ressources naturelles qui pourraient aussi s’étendre au Mali », se projette Pr Malick Sané, par ailleurs Directeur du Crefdes.
Ainsi, ça peut être le pétrole, le gaz, l’uranium… Mais surtout le pétrole. En effet, la France est intéressée par le bassin de Taoudéni (Mali, Mauritanie et un peu l’Algérie). Le groupe Total a déjà des accords avec l’Etat malien pour rechercher du pétrole.
Outre les ressources, il y a la partie géostratégique. Car le Mali, c’est aussi le Sahel. C’est l’axe intermédiaire entre le Nord et l’Afrique au Sud du Sahara, ajoute Malick Sané. « Il y a un positionnement qui peut être utile à tout pays voulant avoir une certaine présence sur le sol africain. Donc la France va tout faire pour préserver ce pré carré qui lui a beaucoup profité et qui lui profite encore », prévient-il.
Cet intérêt est avant tout énergétique. L’essentiel de l’électricité en France est fournie par Edf à travers ses centrales nucléaires. Or, l’uranium utilisé dans les centrales françaises provient en bonne partie des mines du Niger avec Areva. La France fera donc tout pour sécuriser cette zone afin d’assurer son approvisionnement. C’est ce qu’ont compris d’ailleurs les groupes armés de la région qui envoient des messages en s’attaquant à des expatriés employés dans les compagnies qui opèrent dans ces pays.
Au-delà de la France, presque toute l’Europe est intéressée. D’où cette implication visible de l’Union européenne. En effet, les trois principales sources d’approvisionnement de l’Europe en gaz sont la Norvège, la Russie et l’Algérie. Pas questions donc de laisser les centrales à gaz algériennes à la portée des groupes armés.
Il s’y ajoute que les difficultés entre l’Europe et la Russie font que la première cherche des alternatives. L’Afrique reste une option sérieuse. C’est ainsi qu’est né le projet « TransSaharan Gas Pipeline ». La ligne doit passer par le Nigéria, le Niger, l’Algérie pour aller en Europe entre l’Espagne et l’Italie.
Toutes choses qui font que le Pr Malick Sané pense qu’il est indispensable que l’Afrique puisse gérer ces convoitises en déployant des stratégies pour que ça profite au continent, notamment en faisant jouer la rivalité entre prétendants. Et pour cela, rien de mieux qu’une approche communautaire.
« Il faut avoir l’habitude de raisonner en groupe », préconise-t-il. Autrement dit, des entités comme la Cédéao ou l’Union africaine devraient donc avoir une utilité certaine face aux grandes puissances. « Mais il y a des faiblesses qu’il faut combler pour constituer des entités plus fortes pouvant nous permettre de faire face aux prétendants ».
La conviction de l’économiste est que, pris individuellement, les Etats africains ne tiennent pas sous la pression des puissants, parce que trop dépendant à bien des égards. D’où la nécessité de déployer des stratégies communes pour davantage défendre les intérêts du continent. Mais pour le moment, avec cette Cédéao qualifiée de syndicat de chefs d’Etat peu légitime, le chemin qui mène à cette unité d’action est encore loin.