Plusieurs manifestants à Ziguinchor le 2 et 3 mai dernier témoignent avoir été visés ou blessés par des cartouches Cheddite, filiale du groupe français Sofisport, l’un des leaders mondiaux des munitions, selon une enquête menée par Médiapart qui affirme avoir obtenu d’autres photographies et vidéos prises par d’autres manifestants qui disent avoir été visés par les tirs le 2 et 3 mai à Ziguinchor. «Sur les images, on distingue des cartouches au culot gravé du chiffre douze et de plusieurs étoiles. Un signe distinctif des produits Cheddite: on l’aperçoit en photo sur la page d’accueil du site internet du fabricant, ou encore sur leur chaîne de production», renseigne le journal d’investigations.
Créée en 1980, cette société franco-italienne compte aujourd’hui trois unités de production dans la Drôme, à Bourg-lès-Valence, Clérieux et Saint-Sorlin-en-Valloire ainsi qu’une usine à Livourne, en Italie. Chaque année, ses 240 salariés participent à la fabrication de plus d’un milliard de douilles et de 1,4 milliard d’amorces, normalement destinées à la pratique de la chasse, d’après le journal.
Cette répression a fait au moins 30 morts selon Pastef, le parti dirigé par Ousmane Sonko. Dans un communiqué daté du 13 juin, le Bureau des droits de l’homme de l’Onu exprime sa préoccupation face à l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre et réclame l’ouverture d’une enquête indépendante. De cette soirée relatée par Seydina et ses camarades, une question reste en suspens : comment des culots de la société Cheddite, qui se revendique comme le premier fabricant français de douilles et d’amorces pour des cartouches utilisées pour la chasse et le ball-trap, se sont-ils retrouvés mêlés à cette scène de violence urbaine. Contactés par Mediapart, ni le gouvernement sénégalais ni les responsables de la société Cheddite n’ont souhaité répondre à nos questions
Au même titre que du matériel dédié au maintien de l’ordre (gaz lacrymogène, lanceurs de balles de défense, etc.), les munitions de chasse ne sont pas considérées comme des armes de guerre mais comme des armes civiles, d’après le journal qui souligne que les modalités d’exportation sont donc différentes. Les armes de chasse sont moins contrôlées et dépendent du service des autorisations de mouvements internationaux d’armes (Sarnia), dépendant de la Direction générale des douanes. Saisi par Mediapart, le Sénégal s’est contenté de rappeler que les exportations d’armes civiles doivent être autorisées par l’octroi d’une licence d’exportation d’armes à feu, et qu’«aucune exportation d’armes, munitions ou leurs éléments ne peut être réalisée»à destination de pays «soumis à des mesures de restrictions sur les armes».
Pour Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements, cette procédure est caractérisée par une absence de contrôle approfondi, qui explique notamment que des munitions comme celles de Cheddite puissent se retrouver au Sénégal. Une opacité que déplore également Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes à Amnesty International. «Pourtant, les Gomm Cogne, jlash-balls, grenades lacrymogènes, fumigènes ou munitions de chasse peuvent être détournés de leur usage civil et se retrouver dans des conflits armés aux mains de milices.»
L’exemple sénégalais n’est en effet pas un cas isolé. Fin 2022, une enquête de France 24 dévoilait l’usage de munitions de la marque franco-italienne Cheddite contre des manifestants en Iran, d’après le journal. En 2021, la France a exporté près de 105 millions d’euros d’armes civiles à travers le monde. Depuis 2004, ce sont 3,7 millions d’euros d’armes civiles qui ont été livrées au Sénégal.
MEDIAPART