Le président Xi Jinping est sur le point d’obtenir un troisième mandat inédit à la tête de la Chine, lors du congrès du Parti communiste chinois, qui débutera le 16 octobre.
Ce conclave quinquennal, le 20e depuis la création du PC chinois en 1921, devrait également déboucher sur une recomposition du comité permanent du tout-puissant Bureau politique qui détient la réalité du pouvoir en Chine.
En une décennie de règne de Xi Jinping, la Chine a bâti la première marine au monde, restructuré la plus grande armée de métier de la planète et développé un arsenal nucléaire et balistique capable d’inquiéter ses ennemis.
Course aux armements
Les pays voisins de la Chine s’efforçant de suivre la cadence, le troisième mandat de cinq ans de Xi Jinping a toutes les chances de s’accompagner d’une accélération de la course aux armements dans la région Asie-Pacifique.
De la Corée du Sud, qui développe sa force maritime de haute-mer, à l’Australie qui acquiert des sous-marins nucléaires, les achats d’armes ont bondi. Selon l’Institut international d’études stratégiques basé à Londres, les dépenses en matière de défense ont dépassé l’an dernier le milliard de dollars en Asie-Pacifique.
Au cours de la dernière décennie, la Chine, les Philippines et le Vietnam ont doublé le montant de leurs dépenses militaires. La Corée du Sud, l’Inde et le Pakistan ne sont pas loin derrière. Même le Japon a présenté cette année un budget record en matière de défense, mettant fin à sa réserve en invoquant un environnement sécuritaire “de plus en plus violent”.
“Tous les acteurs clés de la région Indo-Pacifique réagissent aussi vite que possible à la modernisation de l’armée chinoise”, explique Malcolm Davis, un ex-responsable de la Défense australienne, désormais à l’Institut de stratégie politique.
Une société civile chinoise démantelée
“Charles”, un Chinois spécialisé dans la défense des droits des travailleurs, se rappelle encore les beaux jours de la société civile en Chine, quand il était possible de militer activement pour une cause. Aujourd’hui, 10 ans après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, ses amis militants sont en prison et lui-même a dû fuir le pays. “Après 2015, toute la société civile a commencé à s’effondrer”, confie-t-il à l’AFP, en utilisant un pseudonyme par sécurité.
Un employé d’une ONG environnementale étrangère confirme ce retour en arrière. “En 2014, on pouvait déployer des banderoles de protestation, mener des travaux scientifiques sur le terrain et collaborer avec les médias chinois pour dénoncer les atteintes à l’environnement”, se souvient-il, s’exprimant sous couvert d’anonymat. “Maintenant, on doit informer la police avant de faire quoi que ce soit”.
L’AFP a parlé avec huit activistes et intellectuels chinois. Tous décrivent le même phénomène: une situation qui s’est nettement détériorée sous Xi Jinping. En 10 ans, médias indépendants, militants et universitaires ont été muselés. Les activistes encore actifs racontent un harcèlement constant des services de sécurité. Certains sont convoqués chaque semaine. “Mes collègues et moi, on a souvent eu des interrogatoires de plus de 24 heures”, témoigne un Chinois travaillant pour une ONG de défense des droits LGBTQ. “On se sent de plus en plus impuissants”.
2015, la bascule
Beaucoup citent 2015 comme le moment où tout a basculé: plus de 300 avocats et militants avaient été arrêtés. La fameuse répression “709″ (la date où cela a commencé, le 9 juillet). Cette année-là a été présenté le projet de loi interdisant aux ONG de recevoir des fonds de l’étranger, entré en vigueur en 2017 et fatal à plusieurs d’entre elles. Rien à voir avec le climat relativement permissif du début des années 2010, sous l’ex-président Hu Jintao.
“Carl”, militant d’un groupe de défense des LGBTQ, se rappelle qu’à l’université, on pouvait débattre de ces questions: “On sentait la pression monter, mais ces sujets devenaient aussi plus visibles grâce au débat public”.
En 2018, les choses se sont encore corsées. Soudain sur les campus, “les activités auparavant tolérées ont été bannies et le travail idéologique, comme les cours d’éducation politique, a été renforcé”, selon Carl. En juillet cette année, la prestigieuse université Tsinghua, à Pékin, a sanctionné deux étudiants qui avaient distribué des drapeaux arc-en-ciel à leurs camarades.
L’ère Mao de retour?
Dès 2013, un document interne du Parti communiste donnait un avant-goût des changements à venir, en interdisant la promotion des valeurs libérales occidentales, comme la société civile et la liberté de la presse.
“Dans les années 1980, on pouvait discuter (de ces idéologies) et publier des livres dessus”, se rappelle Gao Yu, journaliste indépendante basée à Pékin et emprisonnée de 2015 à 2019, accusée d’avoir fait fuiter le document. “Dans une société normale, les intellectuels peuvent interroger le gouvernement sur ses erreurs. Sinon quoi? Serait-on de retour à l’ère Mao?”, s’interroge-t-elle.
Âgée de 78 ans, Mme Gao reste dans la ligne de mire des autorités: elle ne peut recevoir d’appels de l’étranger ni se réunir avec des amis. “On est comme des grains de maïs broyés par une meule”, se désole-t-elle.
Pour remplacer les voix critiques, des universitaires répétant le discours du pouvoir sont mis en avant. Ceux qui ne suivent pas la ligne sont éjectés de leurs postes ou surveillés par leurs propres étudiants. “Une culture de la délation s’est développée parmi les intellectuels chinois ces 10 dernières années”, regrette Wu Qiang, ancien professeur de sciences politiques à Tsinghua, critique envers le parti. “Les étudiants sont devenus des censeurs contrôlant chaque phrase de leur professeur, au lieu d’apprendre par la discussion.”
“Impossible à gagner”
Dans ce contexte, de nombreux militants ont quitté la Chine ou choisi “d’hiberner”, comme Carl. D’autres persévèrent malgré tout. “Peut-être que maintenant, on est au plus bas, mais les gens continuent de dire ce qu’ils pensent”, assure Feng Yuan, fondatrice d’Equity, une association de défense de l’égalité des genres.
L’employé de l’ONG environnementale parle lui d’une “guerre impossible à gagner” face aux nationalistes qui affirment que toute personne travaillant pour une ONG est “anti-chinoise” ou “a subi un lavage de cerveau par l’Occident”.
Deux amis de Charles, l’activiste #Metoo Huang Xueqin et le militant de défense des travailleurs Wang Jianbing, sont emprisonnés depuis plus d’un an en Chine et accusés de subversion. Selon lui, ce sont leurs réunions hebdomadaires qui ont été perçues comme une menace potentielle par les autorités. “Le gouvernement cible désormais les individus faisant de l’activisme à petite échelle et de façon discrète”, s’inquiète-t-il. “Il fait en sorte qu’il n’y ait pas de nouvelle génération de militants. C’est un danger mortel pour notre mouvement.”